Sens – France 2020
BARBARA CHASSE Tout est calme. Dehors et dedans.
Je viens de fermer la porte. Pour la dernière fois. Ce geste quotidien, habituel, presque naturel devient un geste décisif, sacré. Probablement inévitable, je ne pensais pas pouvoir l’accomplir.
Mais tout est calme en moi et au-dehors.
Je sais où je vais.
Je connais la route. Celle du départ.
J’ai déposé de grands draps blancs sur les fauteuils du salon et les meubles que je ne pouvais emporter. Il reste le grand buffet en chêne, le bonheur du jour en pitchpin et le petit secrétaire de mon grand-père. Le tissu des fauteuils est usé, des générations sont venues s’y poser et pourtant j’ai pris soin de les recouvrir. D’autres sauront peut-être les apprécier. J’ai décroché tous les tableaux, les ai confiés à un antiquaire et n’emporte avec moi que cette gravure d’une femme qui coud. Cela aurait pu être ma mère. Je ne l’ai pas connue. Je l’ai souvent imaginée dans cette position, appliquée à sa tâche, de celles réservées aux femmes. Je l’ai souvent rêvée m’enserrant dans ses bras. Aujourd’hui dans les miens, je l’emporte avec moi.
Tout est calme.
On oublierait presque que quatre générations ont vécu ici. C’est mon arrière grand-père qui a fait construire cette maison et qui a toujours fait promettre qu’elle reste dans la famille. Chose fût faite jusqu’à ce que mon père subisse un revers de fortune. Les gens du village l’appelaient la maison aux étangs. D’ailleurs quand mon arrière grand-père eût ce projet, on l’a traité de fou, jamais personne n’avait construit à cet endroit. On le disait maudit mais surtout impropre à la construction. De vieilles légendes parlaient de fantômes, d’âmes errantes apparaissant les nuits de pleine lune. Les seules créatures venues nous hanter étaient les créanciers de mon père. Quatre générations envolées. Je suis le dernier.
Tout est calme.
Pas de pleine lune, pas de fantôme. Juste des souvenirs que j’emporte avec moi. C’est toujours ça que les créanciers n’auront pas.
13 09 20 – Barbara Chasse
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